bio

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Ève Laroche-Joubert (worked under Eve Bailey between 2005 and 2015) has formed a practice based on the concepts of balance and coordination. She sees the body as a perceiving structure in constant movement and is profoundly interested in how physical awareness fosters creativity. Rooted in the tradition of the artist-engineer, her work lives at the intersection of sculpture, performance, dance, architecture, and design, addressing themes of motion. Her large sculptures include wide-ranging references—from ancient totems to contemporary ergonomic design—yet they always revert to biomorphic forms and structures, functioning as sites for choreographed performances in which the artist or other performers climb, contort and balance their bodies, activating the space. “The structures I build serve to express the elegance of a gesture, a finite moment of equilibrium”, Ève has said. In recent projects, she has collaborated with professional dancers in New York and Moscow and is now developing practicable sculptures for the public. Her current research explores association of her understanding of the body with cognitive science.

Ève Laroche-Joubert’s work has been commissioned and exhibited in France, Germany, Switzerland, The Netherlands, Russia and across the US. She was awarded funded residencies from Triangle Arts Organization (USA), the Bemis Center for Contemporary Arts (USA), the I-Park Foundation (USA), Sculpture Space (USA) and the 3D-Verbier Foundation (Switzerland). Her work has been featured in the New York Times, The Wall Street Journal, Artforum, Blouin ArtInfo (Russia), The Brooklyn Rail,  Hyperallergic, Title Magazine, Blend Magazine and The Southern Metropolis Weekly (China) among others. Ève holds an MFA in Sculpture from the École des Beaux Arts (Paris, France) and a BFA in Architectural metal work from Olivier de Serres School of Art & Design (Paris, France). She received fellowships from the École des Beaux Arts in Paris and the San Francisco Art Institute to study abroad. It is after an exchange program at the San Francisco Art Institute that she started incorporating performance in her sculptural work. Ève studied classical ballet and music theory at the Lorraine Conservatory in France. She is also trained in Capoeira and acrobatics, disciplines that she practiced in France, Germany, the Netherlands, Hungary and the US.

Ève’s sculpting techniques are influenced by her professional background as a fabricator. She built countless prototypes for design and architectural companies, fabricated numerous models and sets for the fine arts and entertainment industries, and has experience as a foreman in building renovations. Additionally, Ève taught perspective techniques in Paris, with a specialization in the construction of anamorphosis. Her interest in representational methods is ongoing. She wrote an essay about a new groundbreaking system in the representation of visual reality published in the first volume of The Funambulist Papers. To learn more about Ève’s work please read the articles in the press section and listen to the following podcast: “THE BODY IS PLASTIC: NEGOTIATING WITH GRAVITY”

 

 

— — — Français

« Qu’on s’imagine un corps plein de membres pensants » écrivait Pascal dans ses Pensées. Considérant que l’intelligence n’est pas uniquement le fait du cerveau mais bien du corps dans sa globalité, je suis passionnée par le rapport corps-esprit et m’intéresse profondément à la manière dont la conscience physique favorise la créativité. Par exemple, dans ses vidéos de techniques d’improvisation, le chorégraphe William Forsyth met en relation les mouvements qui composent son répertoire avec des formes géométriques, illustrant le rapport entre dessiner et danser. Si je suis une artiste visuelle de facto, je m’appuie sur les sens de la proprioception (coordination/spatialité) et de l’équilibre pour concevoir et incarner mes œuvres. Lors de performances vivantes, les structures que je fabrique s’animent et se transforment sous l’action de danseurs professionnels, de moi-même ou, plus récemment, du public.

Dans la tradition de l’artiste-ingénieur, mon travail se situe à l’intersection de la sculpture, la performance, la danse, l’architecture et le design. À travers mes sculptures biomorphiques blanches aux formes rondes et mes performances sur des structures cinétiques, jouant de poids et contrepoids, je parle de conscience. Éduquée par des parents qui n’attendaient pas de leurs filles un comportement féminin stéréotypé, j’ai pu librement exprimer mon intérêt précoce pour les lois mécaniques simples dans les jeux de construction et grimper jusqu’à la cime des arbres sans inquiétude. Dans mon œuvre plastique, j’aborde des sujets comme la confiance, la prise de risque positif, l’équilibre et le rapport de nos corps à la gravité terrestre.

Née en 1975 à Nancy, berceau de l’Art Nouveau et fief de l’architecte Jean Prouvé, je suis héritière d’un courant de pensée qui lie l’art et l’utilitaire. Mon approche artistique est aussi pluridisciplinaire que mon éducation le fut. De la maternelle au collège, en parallèle d’un parcours exemplaire dans la filière générale, j’ai reçu une formation poussée en danse classique et musique au conservatoire de Lorraine, notamment en horaires aménagés au secondaire. Dès l’entrée au lycée en F12, une section conciliant art et mathématiques, j’ai étudié le dessin industriel, les techniques de perspectives et l’histoire de l’art. Pour mon baccalauréat obtenu avec mention, j’ai conçu un décor de théâtre mettant en œuvre des chariots mobiles pour tirer les actrices incarnant les Ondines de la pièce de Jean Giraudoux.

À Paris, arrivée première au concours d’entrée, j’ai intégré l’atelier métal créé par l’orfèvre Serge Mouille à l’École Nationale Supérieure des Arts Appliqués Olivier de Serres. En cours de scolarité, j’ai obtenu le premier prix d’un concours d’art et de design au Musée du Louvre grâce à la conception et fabrication d’un jeu de Mah Jong pour voyants et non-voyants. À l’occasion de mon diplôme des Métiers d’Art décroché avec les félicitations du jury, j’ai créé des œuvres cinétiques motorisées inspirées de la mécanique des premières machines volantes. Une autonomie technique inestimable en poche, j’étais dorénavant avide de théorie, de recherches et de voyages.

J’ai trouvé mon bonheur aux Beaux-Arts de Paris dans l’atelier transdisciplinaire de l’artiste Tony Brown où mes réflexions sur les rapports corps-esprit et corps-objet ont commencé à prendre forme. Déjà intriguée par les étonnants pouvoirs du cerveau, j’ai travaillé six mois sur l’IRM de mon propre cerveau, modélisé en 3D en collaboration avec l’ingénieur du laboratoire d’imagerie médicale au centre de neurologie de l’Hôpital des Quinze Vingt. Dans un autre registre technique, j’ai également entrepris la fabrication de portails en fer forgé au sein d’une des dernières forges industrielles de France localisée à Pantin, en partenariat avec l’école.

En 1999, lauréate de la bourse Colin Lefranc, je suis partie une année en échange universitaire au San Francisco Art Institute en Californie. C’est au contact des artistes Paul Kos, Tony Labat et Sharon Grace dans le département New Genres que je me suis familiarisée avec l’art de la performance. Ma toute première action Hanging a pris la forme d’une vidéo où l’on me voit faire le cochon pendu dans un bus en suivant les réactions des voyageurs alors que nous traversons San Francisco. Un changement de point de vue partagé par l’artiste Gordon Matta-Clark qui aimait beaucoup se suspendre.

Parallèlement à mes études, repérée pour mes facilités en dessin, le directeur d’une école d’artisanat privée parisienne (AFEDAP) m’a embauchée comme professeure de perspective. Je me suis assez vite spécialisée dans les techniques d’anamorphoses que je continue de trouver passionnantes et qui enrichissent ma façon de percevoir les formes dans l’espace. Des années plus tard, j’étais invitée en tant que professionnelle par le magazine d’architecture The Funambulist pour écrire un essai sur une nouvelle technique de représentation révolutionnaire dont j’ai comparé les recherches avec celles plus anciennes de l’architecte Frederick Kiesler.

En 2001, la soutenance de mon diplôme aux Beaux-Arts de Paris souleva un débat : quelle était l’œuvre ? Moi ou l’objet ? L’issue de la conversation ne fut pas concluante. Il est vrai qu’à l’époque nous avions peu d’outils conceptuels pour nourrir cet échange. Les grandes plateformes et expositions contemporaines dédiées à ce sujet n’avaient pas encore eu lieu. Je pense entre autres à la biennale Performa qui fut créée à New York par la critique Roselee Goldberg en 2004 pour palier à ce manque ou le recueil de textes Dance par des chorégraphes et des artistes, publié en 2012 dans la série intitulée Documents de l’Art Contemporain par MIT Press à Cambridge.

J’ai vécu à plein temps à New York de 2002 à 2018. À la manière de Trisha Brown, j’ai commencé à investir les rues et les toits de Brooklyn avec des performances spontanées. Les structures faites d’objets usuels assemblés comme des balanciers me permettaient de réaliser des acrobaties sans danger, des actes défiant l’idée de comportement préconçu. Ma motivation est de pousser les limites de mon propre équilibre et de celui de l’œuvre en créant une métaphore unique à chaque nouvel assemblage. Je suis régulièrement invitée à réaliser des performances inaugurales, comme pour la Nuit de la Philosophie à New York en 2015, en écho à l’exposé de Barbara Cassin, ou le projet 100 Artistes dans la Ville de Nicolas Bourriaud pour l’ouverture du MoCo en 2019.

Parallèlement, j’ai développé un autre corps de travail purement sculptural où, si le corps en mouvement est toujours à l’origine même de l’œuvre, la performance vivante intervient dans un second temps. D’un point de vue strictement formel, mes sculptures biomorphiques fonctionnent parfaitement sans intervention physique. Les objets, parce qu’ils sont modelés à partir des coordonnées spatiales d’un corps avec ses qualités uniques, ont une nature intrinsèquement organique. Leur origine interpelle. Ce qui est précieux dans la performance ou la documentation de la performance, c’est qu’elle met en exergue le processus créatif. En 2012, au sein de l’exposition Blur : Six Artists & Six Designers in Contemporary Practice à l’Université des Arts de Philadelphie, mon œuvre Shoulder Path a retenu l’attention de nombreux critiques.

L’écrivain Jeffrey Bussman nota : « Dans la photographie, les formes du corps de l’artiste fige?es en mouvement jouent comme un langage de sémaphore. En regardant à nouveau la sculpture dans la galerie, je pouvais apprécier comment son design était dicté par son corps se déployant dans l’espace, comme si elle avait laissé une impression dans de la terre glaise. ». Dans son article Designing Gravity, l’architecte Léopold Lambert écrivit : « Le travail d’Ève est une ode à la recherche de l’équilibre du corps qui ne doit pas chuter, bien sûr, mais qui doit également trouver les points variés de gravité du design afin qu’il ne bascule pas non plus. (…) Ce que le corps fait de l’objet est évidemment conditionné par le design, mais il peut aussi consister dans la subversion des conditions, ou dans la somme des comportements dépassant la gamme originale des comportements imaginés par l’artiste. »

Comme dans une forme de synesthésie spatiale-visuelle, je dirais que « je chorégraphie mes sculptures ». Non seulement mes formes sont pensées en relation avec le corps en mouvement, mais je manipule mes machines-outils avec la conscience exacerbée d’une danseuse. Au travail à l’atelier, j’exécute chaque geste avec intention. Au-delà de la danse classique, c’est la pratique assidue de la Capoeira en France, en Hollande, en Allemagne, en Hongrie et aux États-Unis pendant dix ans qui continue d’influencer mes choix formels, plus ou moins consciemment.

Dans la même dynamique de transfert de poids, je suis très sensible à la démarche du chorégraphe Steve Paxton avec qui j’ai eu la chance d’échanger à New York sur l’origine de la danse contact. Son approche et le travail collaboratif entre Isamu Noguchi et Martha Graham sont des inspirations sous-jacentes à ma série de totems intitulée Entasis Dance. D’abord exposées au Brooklyn Bridge Park, les sculptures sont dorénavant installées dans des parcs ouverts au public aux États-Unis et non loin de Nihzny Novgorod en Russie. Dans le même esprit, la Fondation Pörnbach Contemporary en Allemagne souhaite que je produise un nouveau totem pour une exposition de groupe à venir.

Suite à des recherches personnelles en neurobiologie et science cognitive, que j’ai initialement conduites pour aider mon père atteint de démence à retrouver de l’autonomie, j’ai commencé à réfléchir sur des œuvres praticables par le public. Je me suis particulièrement intéressée aux travaux des scientifiques Paul Bach-y-Rita en plasticité du cerveau et V.S. Ramachandran en neurologie comportementale. Actuellement en résidence aux entrepôt Larosa à Sète, je fabrique la première sculpture monumentale de ma nouvelle série BodyScapes qui sera dévoilée lors de mon exposition individuelle à la Chapelle du Quartier Haut en 2021. Je développe ce projet en collaboration avec l’ingénieur responsable du laboratoire 3D de l’Université des Sciences de Montpellier et avec le soutien de l’Aide à la Création de la Région Occitanie.

De retour en France depuis janvier 2018, je partage dorénavant mon temps entre Sète et Brooklyn. En ce moment même, plusieurs de mes sculptures sont exposées au prestigieux Steinway Building au pied de Central Park à New York. L’exposition a rencontré beaucoup de succès jusqu’au confinement, la réouverture se fera dès que possible. Je suis également en conversation avec le curateur en chef du musée Noguchi (voisin de MOMA PS1 à Long Island City) qui souhaite montrer prochainement une sélection de mes œuvres qu’il nomme Body-Space Devices dans la lignée du travail d’Isamu.

Cet été 2020, le Centre Régional d’Art Contemporain Occitanie m’a donné carte blanche du 19 au 23 août sous la forme d’une exposition-atelier évolutive au sein du programme « Canal Royal » en partenariat avec Mécènes du Sud dans le cadre du projet « Été Culturel » du Ministère de la Culture. Dans la foulée, la ville de Sète a choisi d’exposer mon travail en solo au Salon « Art Montpellier » Foire des Arts Contemporains en Méditerranée du 8 au 11 octobre 2020. Puis à Paris, à l’occasion du dixième anniversaire de la « Nuit de la Philosophie », je prépare une performance qui se déroulera au siège de l’UNESCO le 15 janvier 2021. Cette année également, la région m’a présélectionnée pour le Prix Médicis Occitanie et m’a attribué une bourse d’Aide à la Création pour la production d’une œuvre à découvrir lors de mon exposition individuelle à la Chapelle du Quartier Haut à Sète. Initialement prévue au printemps 2020, l’exposition est reportée en juillet-août 2021.

Somme toute, les rencontres humaines et l’ouverture aux sciences et à la technologie sont des valeurs intrinsèques de ma démarche artistique.

Ève Laroche-Joubert